publié le 15/04/2020
2009 RMN / Stéphane Maréchalle
Nous vivons à l'heure de la distanciation sociale. Mais cette dernière n’est plus le fait de ces no-lifes qui purent angoisser des parents inquiets de voir leur enfant se désocialiser en passant leur temps devant des jeux vidéos au début des années 2000, ni des Hikikomori, ces adolescents qui aujourd’hui au Japon, mais également dans de plus en plus d’autres pays, passent des mois, voire des années enfermés dans leur chambre sans contact avec le monde extérieur. Elle est au contraire non seulement imposée par le gouvernement mais se pare d’une vertu citoyenne, seul moyen d’enrayer la propagation du virus SARS-CoV2 et de sauver des vies en s’empêchant de contaminer une personne risquant de développer des complications potentiellement mortelles. C'est donc avec la peur de l'autre mais aussi de nous-mêmes que nous vivons depuis le début du confinement dont tout porte à croire qu'il durera encore longtemps. Car même lorsque nous pourrons à nouveau sortir de chez nous, les traces psychiques qu'auront laissées ce quotidien clôturé, fait de gestes barrière et de mise à distance seront profondes. En effet, les accolades spontanées appartiendront à l'ère d'une socialité insouciante et l'on entretiendra durablement une méfiance à l'égard de l'autre et de l'espace que l'on partage avec lui.
Ces temps ont alors rendu nécessaire une vie à distance que les médias avaient déjà initié depuis la moitié du siècle dernier mais qui s'avère aujourd'hui non plus optionnelle ni volontaire mais obligatoire. C'est ainsi que la maison est devenue pour la majorité des Français le lieu d'où ils essaient de continuer à vivre leur existence sociale. Les écoliers, collégiens, lycéens et étudiants expérimentent la « continuité pédagogique » voulue par le ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse Jean-Michel Blanquer, leurs parents télé-travaillent, les sportifs s'entrainent dans leur salon et les musiciens donnent des concerts de leur balcon ou via Facebook live. De même voit-on les e-apéros se multiplier, expressions d'une socialité devenue presque impérative en ces temps de retrait de l'autre.
Quant aux membres des communautés religieuses, ils doivent et devront vivre seuls des moments traditionnellement voués à se lier à l'autre et à partager sa foi. Ce sera le cas pour les Musulmans pour qui le Ramadan commencera à la fin du mois d'Avril, et ce fut le cas des Juifs et des Chrétiens qui vécurent cette année un temps pascal inédit car privé pour ces derniers du dimanche des Rameaux et de la messe de Pâques. Célébration d'autant plus attendue qu'elle met un terme au temps du carême fait de pénitence et de jeûnes, et commémore la Résurrection du Christ. Ce moment de communion et d'espérance se fit donc cette année de chez soi.
Une situation exceptionnelle qui profite cependant d'un demi-siècle de médiatisations de la messe. Celles-ci commencèrent en effet en France dès 1927 à la radio puis à la télévision à partir de 1949. Depuis c'est au tour de l'ordinateur, de la tablette et du smartphone d'être devenus des moyens de suivre la messe à distance. Une révolution particulièrement bienvenue en ces temps de confinement où les lieux de culte et les rassemblements religieux ont été interdits depuis la fermeture des églises décidée par le Vatican dès le 12 mars. Dès lors, les initiatives se multiplient pour permettre aux fidèles de garder un lien avec l'Eglise et de vivre leur foi. C'est ainsi que Monseigneur Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon retransmet tous les jours la messe qu'il célèbre via la plateforme de vidéos en ligne Youtube qu'il voit comme un « moyen (...) de joindre en communion spirituelle des personnes très seules ». De même l'abbé Sébastien Neuville, officie-t-il comme le père Lhomme-Ducret en direct sur Facebook Live. Quant au Pape François, ses liturgies furent retransmises en direct par les médias du Vatican et s'achevèrent par la prononciation du message Urbi et Orbi et la bénédiction pascale qu'il fit à l'intérieur de la Basilique St Pierre de Rome.
Avant ces temps coronaviraux, Internet put aussi être un moyen de se montrer plus en phase avec son temps et ses contemporains, et ainsi toucher des personnes peu enclines à franchir le seuil d'une chapelle ou d'une cathédrale. C'est ainsi dans une église virtuelle qu'officie le pasteur américain D.J Soto, guidé par l'envie de « communiquer l'amour de Dieu via la réalité virtuelle, la réalité augmentée, et les technologies des générations futures ».
Si on ne peut donc que saluer ces initiatives qui permettent de conjurer l'impossibilité de se rendre physiquement à l'église, cette pandémie généralise comme jamais une distanciation de la pratique religieuse dans laquelle la sociologue des religions Isabelle Jonveaux voit cependant un risque de désengagement de la part du e-fidèle. Anonymisée et à domicile, le religieux devient alors spirituel en ce qu'il ne relie plus les membres d'une communauté ni l'homme au mystère divin mais satisfait la quête de sens d'esprits plus isolés que jamais. Entre une geekisation de la communion et une église sur mesure qui n'en finit pas de s'adapter à la culture et aux modes de vie de plus en plus mobiles et connectés de ses contemporains, ces mises en ligne du religieux semblent oublier la part de la présence de l'Autre dans l’eucharistie. C'est en effet une particularité du christianisme que de penser un rapport à Dieu qui n'est pas qu'abstrait ni intellectuel, mais qui se vit dans sa chair et dans le monde, en soi et avec l'autre.
Dès lors, si la découverte du tombeau du Christ vide transporta les apôtres Jean et Pierre d'espérance, il n'est pas à douter que le silence qui règne actuellement dans nos églises ne soit porteur quant à lui de funestes présages.