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L’émergence de l’approche macroéconomique moderne

publié le 23/12/2019

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Piqsels

Quelles sont les étapes clés du développement de la macro-analyse de John Maynard Keynes à la deuxième synthèse néoclassique? Quels sont les défis que pose aujourd'hui l’analyse macroéconomique sur la frontière du savoir? Voici quelques éléments de réponses documentées.

I. Les origines

La macroéconomie, en tant que domaine de recherche distinct de la microéconomie, a émergé vers la fin des années 1930 comme une partie de la réponse intellectuelle à la Grande Dépression (Lucas 2003, p. 1).

Plusieurs chercheurs sont d’avis que Ragnar Frisch est le premier économiste à établir clairement la distinction entre la microéconomie et la macroéconomie. Plus précisément, Frisch (1933, p. 172) note : « l’analyse micro-dynamique est une analyse par laquelle l’économiste essaie d’expliquer en détail le comportement d’une certaine partie de l’énorme mécanisme économique, en prenant pour acquis que certains paramètres généraux sont donnés; alors que dans l’analyse macro-dynamique, l’économiste tente de rendre compte des fluctuations du système économique dans son ensemble ».

Bien que Frisch ait été le premier à introduire le terme macro-dynamique, c’est le livre de Keynes (publié en 1936) qui marque véritablement le début du programme de recherche en macroéconomie avec comme un des points culminants, l’article de Hicks (1937). Cependant, le premier article à avoir utilisé explicitement le terme « macroéconomie » date d'avril 1946: c'est celui de Lawrence R. Klein publié dans la Revue Econometrica.

II. Les fondements

Comme prédit par Schumpeter (1936, p. 792), la Théorie Générale de Keynes a dominé les débats sur la frontière de la recherche durant toute la période post crise 1929. Les fondements, ou encore ce que l’on peut qualifier de point de départ de la formalisation de l’analyse macroéconomique, a longtemps été le modèle IS-LM développé par Hicks. Plus tard, complété par la courbe de Phillips, le modèle IS-LM s’est imposé comme un paradigme dominant en macroéconomie, au regard notamment de l’émergence de la première synthèse néoclassique (cf. Samuelson 1955) ou des modèles macroéconométriques (cf. Économie néo-keynésienne, Klein 1947).

Cependant, au début des années 1970, suite aux critiques de Friedman (1968) et de Phelps (1967, 1968), le modèle IS-LM traditionnel a laissé place, progressivement, à une nouvelle génération de modèles permettant une meilleure prise en compte des anticipations dans la formalisation du comportement des agents économiques. Plus tard, cette critique fut poussée à l’extrême – notamment par Lucas (1972, 1973, 1976) et les partisans de la Nouvelle économie classique (NEC). Ces derniers ont réussi à placer au cœur du débat cinq ingrédients majeurs: les anticipations rationnelles; les microfondements; l’équilibre général; la dynamique et la stochasticité. Dès lors, contrairement aux modèles macroéconométriques traditionnels dont le noyau et la structure étaient fondamentalement ad hoc, les modèles macroéconomiques modernes sont désormais perçus comme des systèmes d’équilibre général dynamiques stochastiques élaborés à partir des fondements microéconomiques des agents dotés d’anticipations rationnelles.

III. Les microfondements

Pour limiter les effets dévastateurs qu’a impliqués la Grande dépression, l’idée principale préconisée par Keynes consistait à agir sur les composantes de la demande globale, particulièrement sur les dépenses du gouvernement. Cette proposition a été à l’origine de ce que l’on appelle les politiques expansionnistes. Cependant, suite à la critique économétrique de Lucas (1976), certains économistes se sont rendu compte qu’en incorporant l’hypothèse des anticipations rationnelles dans les modèles macroéconomiques, comme dans Lucas (1972), les effet réels des politiques devenaient neutres voire nuisibles (Sargent et Wallace 1973, Barro 1976), ou temporellement incohérents (Kydland et Prescott 1977). En d’autres termes, en présence de l’hypothèse des anticipations rationnelles, le recours à une politique macroéconomique, à la discrétion du gouvernement ou de la banque centrale n’était plus analytiquement justifiable car moins efficace qu’une politique de laissez-faire.

Toutefois, les adeptes de l’approche Keynésienne, notamment les praticiens et banquiers centraux, étaient quelque peu sceptiques face aux conclusions établies par les partisans de la nouvelle macroéconomie classique. Ce scepticisme a motivé certains économistes à développer un nouveau programme de recherche visant à justifier la pertinence de recourir aux politiques macroéconomiques même en présence de l’hypothèse des anticipations rationnelles. C’est ainsi qu’a émergé un nouveau courant de pensée que l’on qualifie généralement de Nouvelle économie keynésienne (NEK).

En somme, la nécessité analytique de pourvoir les modèles macroéconomiques des fondements microéconomiques explicites a permis l’émergence des deux courants de pensées: d’une part, la NEC (ou Nouvelle macroéconomie classique) et, d’autre part, la NEK (ou Nouvelle macroéconomie keynésienne).

Le premier courant de pensée est à l’origine de la théorie des cycles réels. Cette dernière regroupe un ensemble de modèles macroéconomiques (RBC models) où les fluctuations du cycle économique peuvent, dans une large mesure, être expliquées fondamentalement par des chocs réels (cf. Kydland et Prescott 1982, Long et Plosser 1983). Cette dernière assertion se justifie par le fait que, dans cette classe de modèles, les fluctuations cycliques sont appréhendées comme des réponses rationnelles des agents aux changements de l’environnement économique causés par des chocs d’origine réelle, en occurrence les chocs de productivité.

Une de principales caractéristiques des modèles RBC est que les prix et les salaires sont flexibles, une vertu de la théorie classique qui garantit, à chaque instant, l’équilibre entre l’offre et la demande. Contrairement aux nouveaux classiques, les nouveaux keynésiens ne croient pas à cette vertu classique. Ils font appel à un héritage keynésien, d’après lequel il arrive que l’équilibre entre l’offre et la demande sur un marché spécifique (marché du travail, marché des produits, marché financier, etc.) puisse être brisé du fait de la rigidité des salaires (Fischer 1977; Taylor 1979, 1980) ou des prix (Calvo 1983) et éventuellement d’autres défaillances ou frictions (Blanchard et Kiyotaki 1987).

La prise en compte des rigidités nominales et des autres frictions dans les modèles macroéconomiques avec anticipations rationnelles et microfondements a donné naissance aux modèles d’équilibre général dynamiques stochastiques (New-Keynesian DSGE models), c'est-à-dire à la deuxième synthèse néoclassique. En général, dans cette classe de modèles, l’économie s’écarte de son niveau naturel à cause des imperfections qu’impliquent notamment l’asymétrie d’information (Mankiw et Reis 2002), les rigidités des prix ou des salaires (Clarida, Gali et Gertler 1999, Christiano, Eichenbaum et Evans 2005), les frictions dans l’ajustement du niveau d’emploi (Blanchard et Gali 2007) ou les frictions financières (Gertler et Kiyotaki 2011). De ce fait, contrairement aux nouveaux classiques, les adeptes de la NEK soutiennent que le recours aux politiques de stabilisation macroéconomique par le gouvernement (politique budgétaire) ou par la banque centrale (politique monétaire) peut aboutir à un résultat macroéconomique plus efficace qu’une politique de laissez-faire. Toutefois, à cause du principe d’incohérence temporelle des politiques discrétionnaires, la conduite des politiques économiques doit être basée sur les règles (Taylor 1993, Svensson 1999).

V. Remarques conclusives

Cette note a passé en revue les moments clés dans le développement de la macro-analyse de Keynes à la deuxième synthèse néoclassique. À ce jour, comme en témoigne la série d’articles édités par Vines et Wills (2018) dans la Revue Oxford Review of Economic Policy ou comme cela est largement discuté au volume 32 du Journal of Economic Perspectives, le débat sur la frontière de la recherche en macroéconomie gravite principalement autour des questions en rapport avec la direction future que devrait adopter la modélisation macroéconomique (voir aussi, à ce propos, Auerbach, Gorodnichenko et Murphy, 2019).

Devrions-nous simplement abandonner l’approche DSGE ou l’amender? Au cas où il faudrait l’abandonner, quelle serait la meilleure alternative? Mais si, en revanche, on considère qu'il convient de s'atteler à son amendement, quelles seraient alors les meilleures propositions? Saisir la profondeur de ce questionnement et appréhender les pistes de solutions envisageables requièrent une initiation à l’analyse macroéconomique moderne.

Jean-Paul K. Tsasa

Jean-Paul K. Tsasa est un économiste congolais, co-auteur du livre 'Macroéconomie: Fondements, microfondements et politiques' publié aux Éditions Hermann en 2018. Il est aussi auteur de plusieurs articles scientifiques sur la RDC.

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