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La littérature australienne s’exporte t-elle ?

publié le 16/05/2022

couverture-tribune

L'édition coréenne de "Panorama du roman australien" paraîtra en juin 2022.

A l’heure où l’Université française met à l’honneur Alexis Wright et son Carpentarie (roman de l’autrice du clan Waanyi publié en 2006 ; éd. fr. 2009) au programme de l’agrégation des anglicistes, il est opportun de s’interroger sur le fait de savoir si la littérature australienne s'exporte.

La dernière tentative de l'Enseignement supérieur pour sortir la littérature australienne de l’ombre fut en 1977, en plaçant Voss de Patrick White au programme, 4 ans après que l’auteur a remporté le Prix Nobel de littérature. 

Voss et Carpentarie au crible des agrégatifs

Roman historique inspiré d’un fait réel, Voss (1957) narre la disparition de l’explorateur Ludwig Leichhardt qui lança une expédition pédestre en mars 1948 pour traverser le continent d’Est en Ouest. Sur un mode assez poétique, Patrick White retrace un voyage intérieur qui se veut physique et symbolique tout à la fois. Cette quête introspective se solde par la mort du personnage éponyme à la rencontre de son inéluctable destin. Dans Carpentarie, saga postcoloniale opératique qui flirte avec le réalisme magique, la communauté aborigène vit à la lisière de Desperance, une ville fictive qui ressemble étrangement à Cloncurry, d’où Alexis Wright est native. Le roman met en scène la lutte contre les capitalistes carnassiers de la mine Gurfurrit qui défendent bec et ongles leurs intérêts économiques dans la région du golfe de Carpentarie. Ce livre remporta de nombreuses récompenses en 2007, dont le très convoité Miles Franklin Award qui sert de repère à Actes Sud pour faire la sélection des titres australiens qu’ils intégreront à leur programme de traduction. 

Elu produit de l’année (1)

Les prix littéraires — qui, à ne pas manquer, généreront un bandeau ostentatoire en couverture du livre — sont un autre moyen très efficace d’attirer l’attention des lecteurs et des professionnels de la filière du livre. De nombreux écrivains australiens — notamment les têtes d’affiche comme Kate Grenville, Peter Carey, Geraldine Brooks, Tim Winton, Richard Flanagan, David Malouf, Thomas Keneally, ou Alex Miller — sont parvenu à acquérir une réputation internationale après l’obtention d’un prix de renom comme le Book Prize, le Commonwealth Writer’s Prize, le très féministe Orange Prize ou le Prix Médicis Étranger, car que ce soit en Chine, en Inde ou en France, une moisson littéraire nationale ou internationale est, pour les éditeurs, toujours l’indicateur d’une valeur sure qu’il faudra s’empresser de traduire et publier. (2)

Un rayonnement dans l’enseignement supérieur et, à terme, dans le second degré

Le fait que Carpentarie ait été placé au programme externe et interne de l’agrégation d’anglais n’est pas à minimiser. Concrètement, cela veut dire que tous les enseignants anglicistes de l’Enseignement supérieur de France et de Navarre, dignement représentés par la S.A.E.S. (Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur), auront au minimum vu son nom circuler, et dans le meilleurs des cas, auront passé tout un été à préparer les cours sur ce copieux roman de plus de 500 pages. Comme d’usage, il en découle toute une production critique qui, dans l’année universitaire qui suit l’annonce de la programmation, inonde le marché de l’édition avec des monographies, des hors-séries de revues universitaires, sans compter les articles publiés de manière éparse dans des revues spécialisées. (3) Qui plus est, tous les agrégatifs anglicistes du concours externe (et externe spécial) et interne de l’agrégation qui bûcheront les cours dans l’optique de se présenter aux épreuves des sessions 2022-23 auront, dès l’obtention de leur concours, l’occasion d’introduire la littérature australienne dans leurs enseignements, qu’ils soient devenus titulaires dans le second degré ou PRAG à l’université. 

Gageons que cette décision qui a reçu l’aval du conseil supérieur des programmes permette à la littérature australienne de rayonner en France après avoir offert au corps enseignant une très belle initiation à la production romanesque des peuples autochtones d’Australie.

(1) Lire Jean-François Vernay, La séduction de la fiction (Paris : Hermann, 2019), 23-27.

(2) Je vous renvoie à mon article : “Australian Literature and Its Institutionalisation in the Offshore Playground” in Jean-François Vernay (dir.), Musings from the Offshore Playground: International Perspectives on Australian Fiction. A Special Issue of Journal of Postcolonial Writing 58 : 1, janvier 2022, 1-10.

(3) Un exemple parmi d’autres, l’article de Xavier Pons dans Miranda, la revue pluridisciplinaire du monde anglophone du laboratoire Cultures Anglo-Saxonnes de l’Université Toulouse II-Jean Jaurès. https://journals.openedition.org/miranda/44684

Jean-François Vernay

Essayiste bilingue, auteur de fiction et chercheur en littérature, Jean-François Vernay est l'auteur de plusieurs livres qui sont traduits en plusieurs langues. "La séduction de la fiction" (Paris : Hermann, 2019) est son quatrième essai. Son premier livre chez Hermann, "Panorama du roman australien des origines à nos jours", traduit en anglais et en coréen, demeure à ce jour la seule histoire littéraire de l’Australie disponible en français. Il est aussi auteur de fictions. "Forteresses insulaires" a paru aux éditions Sans Escale.

Auteur de La séduction de la fiction

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