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De Saigon à Kaboul : Perdre la bataille, gagner la guerre

publié le 23/08/2021

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https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Stamp_of_Afghanistan_-_1964_-_Colnect_483939_-_Afghan_Flag.jpeg?uselang=fr

Les Etats-Unis ont certes perdu la bataille en Afghanistan, mais ils peuvent encore gagner la guerre contre l'Iran en adoptant la stratégie de Henry Kissinger face à l'URSS après la guerre du Vietnam.

  

Le retrait américain d’Afghanistan a été critiqué à juste titre du fait de la victoire rapide des Talibans et des images tragiques d’Afghans s’accrochant désespérément aux avions américains en décollage. Cette critique est justifiée : les États-Unis auraient pu se retirer de façon moins chaotique, et le Président Biden n’aurait pas dû être rigide sur sa date-butoir arbitraire – surtout lorsque s’avéra l’effondrement de l’armée afghane. Mais la décision de se retirer était elle aussi justifiée : l’Afghanistan était une cause perdue qui gaspillait les ressources américaines et les détournaient de ces défis plus pressants que sont l’Iran et la Chine. Ce qui n’avait pas pu être accompli en Afghanistan après vingt ans ne l’eût jamais été.

Le contribuable américain a dépensé deux trilliards de dollars en Afghanistan, et plus de deux-mille soldats américains y ont perdu leur vie. Et pourtant, le pays est de retour à la case départ, lorsque les États-Unis l’envahirent en 2001 pour chasser les Talibans à la suite des attaques du 11 septembre. Pis, les Talibans contrôlent plus de territoire aujourd’hui qu’en 2001, et ils ont de surcroît mis la main sur l’arsenal militaire américain abandonné par l’armée afghane. L’Afghanistan est une perte totale.

D’aucuns ont fait la comparaison entre deux hélicoptères américains venant à la rescousse des employés d’une ambassade : à Saigon en 1975, et à Kaboul en 2021. Au-delà des images, le précédent vietnamien est riche en enseignements. Car, à l’époque, Henry Kissinger sut sacrifier la dame pour infliger un mat. Grâce à sa stratégie, l’Amérique perdit une bataille mais finit par gagner la guerre. C’est de cette stratégie qu’il faut s’inspirer aujourd’hui.

Quinze ans après l’humiliation de Saigon, l’Union soviétique s’effondrait et l’Amérique gagnait la guerre froide. Cette victoire ne fut pas le fruit du hasard. Les États-Unis mirent fin à une guerre ingagnable pour exploiter les faiblesses de l’Union soviétique. Certes, il y eu bien un effet domino après Saigon : les Communistes prévalurent en Angola (1975), en Ethiopie (1977), et au Nicaragua (1979) ; et, pour finir, l’Union soviétique envahit l’Afghanistan en 1979. Mais ces avancées communistes étaient en réalité un trompe l’œil. 

En envahissant l’Afghanistan, Moscou étendit son empire au-delà des capacités d’une économie défaillante. La même année, les États-Unis établirent des relations diplomatiques avec la Chine, alors grande ennemie de l’URSS. Les États-Unis encouragèrent également les rebellions antisoviétiques des catholiques en Pologne et des djihadistes en Afghanistan. Puis, dans les années 80, Ronald Reagan força l’URSS à entrer dans une compétition militaire (la « guerre des étoiles ») que son économie ne pouvait plus financer. En 1989, le mur de Berlin tombait.

Il faut espérer que les États-Unis aient aujourd’hui une stratégie face à deux pays avec lesquels l’actuel affrontement remonte à 1979 : l’Iran et la Chine. C’est en effet en 1979 que l’Iran devint une république islamique et que la Chine commença à adopter le capitalisme étatique qui allait transformer un pays pauvre en deuxième puissance économique mondiale. À l’époque, les États-Unis avaient soutenu ces changements : Jimmy Carter abandonna le Shah d’Iran et il encouragea les réformes économique de Deng Xiaoping. 

Quatre décennies plus tard, l’Iran et la Chine sont devenus de sérieux défis pour les États-Unis et pour l’Occident. L’Iran opère un réseau terroriste contre des cibles occidentales au Proche Orient, en Afrique, et en Amérique latine. Un Iran nucléaire aurait la capacité de dissuader les États-Unis et de contrôler les flux de pétrole dans le Golfe persique. Quant à la Chine, son but est de dépasser les États-Unis tant économiquement que militairement, et elle défie les intérêts américains à travers le monde. Loin de se libéraliser suite à son inclusion dans l’économie mondiale, elle a utilisé cette inclusion pour imposer ses intérêts économiques et pour renforcer son pouvoir autoritaire. 

Une stratégie américaine face à l’Iran et à la Chine doit reposer sur un front commun avec l’Europe, le Japon, l’Inde, Israël, les monarchies du Golfe, et le Commonwealth. Si le Président Biden se prépare à un « plan B » suite à l’échec des renégociations avec l’Iran, il aura besoin d’alliés. Or une alliance ne peut tenir si elle est à sens unique. Il n’est pas concevable, par exemple, que les États-Unis vendent à la Chine le charbon qu’elle n’achète plus de l’Australie pour « punir » celle-ci d’avoir demandé une commission d’enquête sur les origines du Covid 19. De même, Israël paie un prix économique pour avoir ajouté sa voix, à la demande de l’administration Biden, à une condamnation de la Chine pour sa politique au Xinjiang. 

Il est de l’intérêt de l’Europe et de la France de se joindre à ce front face à l’Iran. L’effondrement du Liban et la mainmise de l’Iran sur ce pays par le biais du Hezbollah ne menace pas seulement Israël mais également l’UE (quelques 200 kilomètres séparent le Liban de Chypre). Après avoir perdu la bataille en Afghanistan, les États-Unis et leurs alliés doivent s’atteler à gagner la guerre contre l’Iran. 

Emmanuel Navon

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