publié le 06/11/2024
Cité internationale de la Francophonie
L’OIF nous annonce aussi que, sur ces 343 millions, « plus de la moitié » se trouvent en Afrique. Autrement dit, près de 171 millions de francophones se trouveraient ailleurs. Si l’on compte les francophones de l’hémisphère nord (France, Belgique, Suisse, Canada), les seuls à pouvoir être dénombrés d’une manière (à peu près) sûre, on ne dépasse guère les 83 millions de locuteurs. Il reste donc à trouver 88 autres millions de francophones. Où sont-ils ? En Amérique du Nord (hors Canada) ? En Amérique du Sud ? En Asie ?
Ces chiffres mirobolants sont peu crédibles. Ils ne s’appuient ni sur des bases définitionnelles, ni sur des bases statistiques solides. La notion même de « francophone » retenue est la plus large et la plus vague possible. Or, il ne suffit pas d'avoir suivi des cours de français à l'école pour pouvoir être considéré comme vraiment francophone. À quoi cela sert, si vous n'avez pas besoin de parler français à la maison et, plus encore, au travail ? Une langue utilisée seulement à la maison s’étiole ; une langue nécessaire au travail se développe. Combien des francophones comptabilisés par l’OIF ont besoin de notre langue dans leur vie professionnelle, quand on sait que, même pour les véritables francophones, le français n'est plus à même de répondre à tous leurs besoins de communication ?
Le dénombrement ne s’appuie sur aucun recensement linguistique spécifique (parmi les pays « francophones », seuls le Canada et la Suisse recensent l’usage des langues), mais seulement sur des extrapolations mettant en jeu le taux de scolarisation (lui-même suspect, en particulier en Afrique) des enfants et la progression démographique (pas toujours précisément décomptée) des populations.
À l’opposé de ces fanfaronnades, le tableau de la situation réelle du français n’est pas aussi glorieux. Certes l’OIF regroupe 88 États et gouvernements, mais peut-on considérer comme « francophones » la Bulgarie, l’Égypte ou les Émirats arabes unis ? Le français serait la deuxième langue diplomatique au monde. Ce qui est vrai, c'est qu'à l’ONU, à New York, en 2017, 85% des textes ont été rédigés en anglais, 2%, en français ; qu'au Secrétariat général de l’Union européenne, à Bruxelles, 92% des documents l’ont été en anglais, 2% en français. Selon l’OIF, le français serait la 4e langue utilisée sur Internet. Ce qui est vrai, c'est que la part réelle du contenu sur Internet est la suivante : anglais (60%), français (4%). En 2023, notre langue y occupait la 8e place, soit 3% des utilisateurs. En Europe, l’anglais langue étrangère est choisi par 96% des élèves ; le français (22%), en baisse, est talonné par l’allemand et l’espagnol, en hausse. Aux États-Unis, le français langue étrangère a été supplanté par l’espagnol ; en Russie, par l’anglais. Le français a pratiquement disparu des publications scientifiques. En 1880, trois langues, l’anglais, le français et l’allemand, se partageaient, à parts à peu près égales, ce domaine crucial. En 2006-2015, l’anglais représentait 97% des publications indexées par le Science Citation Index Expanded (6500 revues, 150 disciplines), le français, 0,4%.
La perte d’influence du français se fait nettement sentir en Afrique, où se joue l'avenir de la Francophonie. Notre langue y subit de plus en plus la concurrence des langues nationales (dans le déni, l’OIF qualifie ce phénomène de « cohabitation » entre « langues partenaires ») et de l’anglais. En réalité, seule une très faible part de la population a le français comme langue première et même comme langue seconde. Cette perte a été accentuée par les putschs largement antifrançais et pro-russes des années 2020-2022 (Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger). En 2008, le Rwanda a abandonné le français comme langue de l’enseignement et de l’administration. En 2014, le Burundi a intégré l'anglais dans son système éducatif et administratif. En 2022, le Gabon et le Togo sont devenus membres du Commonwealth. En 2022, l’Algérie a introduit l’enseignement de l’anglais dès la troisième année du primaire en parallèle avec celui du français. En 2023, elle a décidé d’interdire les programmes scolaires français dans les établissements privés. Un sondage récent montre que la majorité des jeunes Marocains préféreraient que l’enseignement soit donné en anglais plutôt qu’en français...
Ce qui est vrai aussi, malheureusement, c'est qu'en France même, notre langue subit la concurrence de plus en plus vive de l'anglais comme le révèlent le visage franglais de nos villes, les noms anglais de grandes entreprises, d’établissements publics ou de petits commerces, de produits et de services, d'événements, etc. Alors pourquoi nourrir l'illusion d'un tableau idyllique ? Ne vaudrait-il pas mieux regarder la réalité en face, afin de sauver ce qui peut l'être encore ?